22 décembre 2018

A l’écoute d’un témoin de Noël

A l’écoute d’un témoin de la nuit de Noël

Bonjour,

C’est vrai que j’ai été un témoin privilégié de ce miracle que vous chantez et que vous célébrez le 25 décembre. J’ai vu, de mes yeux vus, ce miracle de noël s’accomplir. Lorsque l’enfant est né, j’étais là. J’ai vu les bergers conduits par les anges s’émerveiller devant cet accomplissement de la promesse. Plusieurs centaines d’années que Dieu au travers des prophètes avait annoncé cette naissance. Celle d’un enfant-roi, d’un sauveur universel. Et ils avaient été conviés par les autorités célestes, eux, les exclus, les parias de la société juive, les impurs stigmatisés par le clergé, à admirer cette étoile du matin scintiller au creux d’une mangeoire.

J’ai vu des mages étrangers étaler leurs trésors apportés de contrées éloignées. Là où aucun sage d’Israël n’était présent. Ayant traversé pays et déserts, conduits pendant des mois par une étoile. Ils recherchaient le roi des juifs qui venait de naître. Ils sont même allés jusqu’à Jérusalem croyant trouver dans un palais le nouveau-né royal. Ils sont arrivés dans une étable. Leurs regards ont contemplé l’enfant et oublié le lieu misérable pour ne voir que la promesse divine incarnée. L’étoile dans les nues avait disparue mais moi, un peu à l’écart, j’ai bien vu son éclat briller au plus profond de leurs yeux quand ils s’en sont allés. Je sais que cette lumière reçue à Bethléem, que ce soit par d’humbles bergers ou des mages renommés, est partie cette nuit-là pour éclairer le monde.

Silencieux, attentif. Lorsque les évangiles ont parlé de moi à 14 reprises sans qu’aucun mot, aucune parole de moi ne soit retenue. C’est sans doute pour cela que la tradition fait de moi un homme de silence et de contemplation. Mais en vérité, mon appel consistait à accueillir la Parole, la protéger et la rendre audible. Ce ne sont pas mes mots qui importaient mais la mission qui m’avait été confiée.

Je ne suis qu’un homme simple. Artisan vivant de mes mains. Mes ancêtres sont d’une illustre lignée, il est vrai. Venir à Bethléem était une obligation posée par l’empereur Auguste qui voulait faire le recensement des habitants de son empire. Ma famille est originaire de Bethléem et je suis descendant du roi David. Descendant… mais pas héritier ! Alors que vous, en saisissant les promesses qui se trouvent dans le message de noël, quand bien même vous ne seriez pas descendants du Roi David, vous devenez héritiers du fils de David !

Près de 150 km pour venir de Nazareth où je travaille comme charpentier-menuisier. Presqu’une semaine de marche avec un âne pour porter Marie qui est sur le point d’accoucher. Une semaine pour me rappeler de quelle manière je me suis retrouvé dans cette étable. Étonné moi-même de la place qui m’a été accordée dans ce que j’ai pressenti comme le tournant de l’histoire non seulement d’Israël mais de l’humanité toute entière. A chaque pas qui m’a conduit jusqu’à Bethléem, j’ai pensé à ce mystère, à ce miracle où Dieu m’avait attribué une place. Est-ce que vous aussi, il vous arrive de regarder votre vie, les chemins que vous empruntez et de vous émerveiller en voyant la manière dont Dieu vous a fait entrer dans ses plans ?

Pour ma part, tout a commencé quelque mois avant d’arriver à cette nuit de Bethléem. J’étais fiancé à une femme merveilleuse. Son nom était Marie. Elle est belle Marie. Oh, pas seulement parée de la beauté que confère la nature. Non. Son âme est belle, lumineuse et droite. Comme le disait un de vos poètes en parlant de Booz, un de mes ancêtres : Cet homme marchait pur loin des sentiers obliques, vétu de probité candide et de lin blanc. Marie était de la même nature et je ne l’en aimais que davantage. Et elle m’a rendu mon amour. Moi, le descendant de David, sans fortune et sans gloire. Elle m’a aimé, modeste travailleur, discernant peut-être avant moi, les plans étonnants que Dieu avait pour ma vie. Peut-être avez-vous connu aussi comment le regard de l’amour peut percevoir dans un être aimé les promesses de la moisson quand les semailles ne sont pas encore faites. Après tout, n’est-ce pas ce regard que Dieu pose sur chacun de nous ?

Nous nous sommes fiancés. Nos familles allaient s’unir quand nous prononcerions nos vœux et nos engagements. Jusqu’à ce que Marie me demande de la voir et m’annonce attendre un enfant. Elle m’expliqua comment l’ange du Seigneur l’avait rencontrée et lui avait annoncé la grâce que Dieu lui avait faite. Oh, je n’ai pas douté de son intégrité, ni remis en cause sa fidélité. Mais comment faire face aux exigences de la loi, aux regards des autres ? Un des évangélistes a bien traduit le dilemme qui se posait au plus profond de mon âme. Je n’ai pas voulu la dénoncer, l’exposer à la vindicte religieuse. Alors j’ai décidé de la répudier sans bruit. Connaissez-vous le sort réservé aux femmes qui deviennent enceintes avant les épousailles officielles ? Pour elles la Loi était implacable: la répudiation suivie de la lapidation.

J’ai décidé de la répudier « sans bruit ». Sans discuter les desseins de Dieu. Peut-être sans les comprendre non plus. Mais je me sentais l’obligation d’être juste avec Marie, de ne pas la diffamer.

Et puis, un ange m’est apparu en songe. Il m’a interpellé « Joseph, fils de David ». Il me connaissait et au-delà de l’apparence, il me rappelait à moi aussi quelles étaient mes racines. Fils de David ! Peu de ceux qui m’entouraient au quotidien voyaient en moi un fils de roi. Et quel Roi . Celui qui devait être l’ancêtre, le père du messie. Du roi des rois.

Peut-être vous aussi, charpentiers de ce temps, arpentez-vous ce monde sans que ceux qui vous croisent ne voient en vous les fils du roi des rois que vous êtes. Vous faudra-t-il, tout comme moi, un ange pour vous le rappeler.

J’ai pris Marie sous mon toit, sous mon aile. J’ai cru dans les promesses de Dieu pour Marie. J’ai fait, simplement, ce que l’ange du Seigneur m’avait ordonné. Faire ce que Dieu dit, c’est là le plus sûr moyen de voir le royaume de Dieu sur la terre, ne croyez-vous pas ?

Mon premier acte d’obéissance fut de donner un nom à l’enfant nouveau-né. Privilège du père que je suis devenu. L’intervention de l’ange a fait le lien entre l’humain et le divin, entre le ciel et la terre. En reconnaissant l’enfant et lui donnant son nom, c’est par moi que l’enfant est rattaché à la lignée de David. Plus tard, il sera présenté à plusieurs reprises comme le fils du charpentier ou le fils de Joseph. Vous pouvez imaginer ce que ces mots ont touché mon cœur. Attestant, proclamant que j’avais tenu le rôle, l’appel qui m’avait été alloué. Être le père de Jésus. L’introduire dans ce monde et lui donner ce nom qui sauve. Mais n’est-ce pas également votre appel, à vous qui êtes-là ce matin ? Faire retentir ce nom ? Proclamer que Dieu sauve, c’est bien cela le message de noël !

Quelques jours plus tard, un ange à nouveau s’est présenté à moi. C’est impressionnant comme les envoyés de Dieu sont présents dans nos vies dès que nous acceptons de faire sa volonté, vous ne trouvez pas ?

Hérode voulait tuer l’enfant, espérant par là même éliminer un danger pour sa royauté. L’ennemi n’avait pas encore compris le plan de Dieu. Par la mort de millier d’enfants, il pensait empêcher l’acte d’amour de Dieu. Il ne pouvait pas imaginer que Bethléem n’était rien, n’avait pas de sens sans la croix dressée à Golgotha.

J’ai protégé Jésus. Ensemble avec Marie nous avons fui en Égypte comme Abraham en son temps. Mais là, avec la bénédiction de Dieu. J’ai joué pleinement mon rôle de père. Rappelez-vous également qu’à Noël, moi, Joseph, Marie et Jésus, nous sommes devenus migrants. Ouvrez-vos yeux et vous verrez peut-être autour de vous, en ce temps de fête, des hommes, des femmes qui, comme nous, marche sur les routes de l’exil, cherchent refuge dans leur Égypte pour survivre.

J’ai joué mon rôle de père… Jusqu’à ce jour où, montés à Jérusalem pour une fête, il m’a semblé avoir failli à ma tâche. Sur le chemin du retour, je me suis rendu compte que j’avais perdu l’enfant. Certes, il avait 12 ans. L’âge de l’émancipation, de l’autonomie. Nous l’avons retrouvé au temple, enseignant des sages et des scribes étonnés de sa sagesse. Nous lui avons fait part de notre inquiétude, de notre angoisse. Sa réponse m’a cueilli en plein cœur : Ne fallait-il pas que je m’occupe des affaires de mon père ?

Jésus, lui-même, sans renier notre lien terrestre, m’indiquait sa double filiation. Celle du ciel qui s’ouvrait et celle de la terre qui arriverait à son terme dans notre relation.

Vous fêtez la naissance de Jésus en ce jour de noël. Peut-être devriez-vous fêter la fête des pères et des mères également. Une fête pour tous ceux qui assurent aux plus petits cette protection qui favorise la croissance « en sagesse, en taille et en grâce », comme le dit l’Évangile de Luc (2, 52).

Ma tâche accomplie, je me suis effacé. Mais il y avait dans mon cœur la certitude d’avoir participé, à mon humble mesure à la plus merveilleuse histoire d’amour. Celle d’un père pour son enfant. Celle de ton Dieu pour toi !

Jean-Marc Hoang-Tho
Pasteur de l’église apostolique de Quéven